Série 'T'r'net
La Mort qui tuait (mais qui faisait super peur avant de mourir)
Mandarin était sur le point de passer l'arme à gauche...
La mort vautrée sur le lit du pensionnaire de la maison de retraite "La Volière", ricanait sadiquement en le regardant tenter de s'enfuir avec son déambulateur.
- "Comment peut-on, ne serait-ce qu'imaginer espérer échapper à la mort ?" se demandait-elle. Une curiosité morbide la poussait à reculer l'instant fatal, histoire de voir jusqu'où ce vieillard en sursis était capable d'aller.
Mandarin lui voyait ses souvenirs se bousculer à un rythme effréné de sa naissance jusqu'à il y a quelques semaines...
Pour commencer, il n'aurait jamais dû jouer au jeu de-la-mort-qui-tue-mais-qui-fait-super-peur-avant-de-mourir ! C'était sa faute, sa très grande faute !
Tout ça pour faire le malin devant sa voisine de chambre !
Il se souvint des évènements qui l'avaient conduit jusqu'à cet instant : la visite chez La Pie, tireuse de carte, diseuse de bonne aventure et sorcière à l'occasion.
Il se remémora ses prédictions grotesques, les rires de son copain Bruant qui l'avait accompagné, la dispute, la chute de la vieille de son fauteuil roulant, Bruant volant le jeu de tarot auquel elle tenait le plus.
Ils avaient fui en éclatant de rire comme des adultes séniles qu'ils étaient, la laissant au sol, pauvre vieille paralysée mais hurlant des insanités et des malédictions.
Les mots de La Pie résonnèrent aux oreilles de Mandarin : "vous pouvez vous moquer de mes pouvoirs, mais pas de celui de ce jeu... Si vous ne me le rendez pas d'ici la prochaine lune noire, sa malédiction s'abattra sur vous et sur tous ceux qui l'auront touché. Chaque carte amène sa propre mort, méfiez-vous !
En revenant dans la salle commune avec leur menu larçin, ils avaient alors organisé ce jeu stupide histoire de rigoler un peu avec les autres pensionnaires qui s'ennuyaient à mourir devant TF1. Chacun avait pris une carte et Bruant s'était amusé à faire des prédictions plus effrayantes les unes que les autres selon les lames...
Quels idiots ! Mais quels idiots ! Pensait Mandarin ! Cela se passait il y a environ deux mois. Ils n'avaient pas rendu ce jeu, ils ne savaient même pas ce qu'était une lune noire.
Puis l'attitude de Bruant changea. Il devint agressif, paranoïaque, faisait des bonds en toutes circonstances, des tics nerveux lui parcouraient le visage comme si une bestiole infecte avait pénétré ses tissus et circulait en toute tranquillité sous sa peau.
Les résidents le fuyait sauf Mandarin de qui il était l'ami le plus intime et copain de chambrée* (nde : il n'y a aucun sous-entendu dans ses derniers mots).
Bruant était mort la semaine précédente d'une chute d'un arbre, et tout le monde avait cru à un accident car il passait son temps dans les arbres depuis fort fort longtemps. On classa donc son décès dans les : il fallait bien que ça arrive !
Trois jours après l'enterrement, Mandarin s'était réveillé un matin, les tarots volés posés sur sa table de chevet. Il avait complètement oublié ce jeu et pensait celui-ci parti avec les affaires du défunt dans la famille. En l'ouvrant, il s'était rendu compte de l'absence de la Tour, carte tirée par son ancien ami lorsqu'ils avaient joué dans la salle commune.
Les soupçons étaient alors nés sur la vérité de cette mort accidentelle, et les cliquetis avaient commencés à se faire entendre...
Les légendes urbaines ont toujours une base réelle dit-on... Aujourd'hui, Mandarin allait devenir l'une d'elle et aujourd'hui, il allait rendre son bulletin de naissance dans d'atroces souffrances.
Sa seule consolation, son nom allait rester célèbre pour toujours : Mandarin Castanotis le sénior de la maison de retraite "La Volière" mort dans de mystérieuses circonstances, la police enquête...
Il voyait déjà les gros titres des journaux, imaginait ses enfants et petit-enfants pleurer sa disparition devant les caméras de France et de Navarre. Il songea avec amertume à Linotte, la charnelle voisine de 70 ans si gaie, soudainement si peinée de sa perte alors qu'ils n'avaient même pas eu le temps de consommer le jus de pomme tous les deux !
Une fois encore, Mandarin entendit le cliquetis des chaînes et à nouveau il pressa le pas, poussant le déambulateur aussi vite qu'il le pouvait malgré son rhume de hanche. Il n'avait pas encore passé le seuil de la porte de sa chambre quand il sentit une main glaciale sur son épaule. Les frissons de la peur coururent sur sa peau pendant que des cloques se formaient au contact diabolique.
Une douleur aigüe lui déchira la poitrine, il se sentit tomber comme au ralentit, alors que son esprit incrédule lui soufflait qu'il n'était pas encore temps pour lui de passer l'arme à gauche, pas avant d'avoir mis la tête dans les voluptueux pare-chocs de Linotte.
Mais la vie est ainsi faîte d'injustice et de drame, Mandarin mourut avant d'avoir siffloté "la chevauchée fantastique" et avant que sa tête ne touche le sol.
La mort en souriant, le fouilla, sortit de sa poche le paquet de tarots, tira l'arcanne 13 qu'elle fit brûler entre ses longs doigts osseux et disparue en sifflotant " La Mort dans l'Ame".